7 inconvénients de l'habilitation familiale

Antoine
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2025

La protection juridique d'une personne âgée ou vulnérable n'est jamais un acte anodin. Qu'il s'agisse d'une tutelle, d'une curatelle ou de l'habilitation familiale, le choix d'un régime de protection emporte des conséquences importantes sur les droits et libertés du majeur à protéger ainsi que sur l'équilibre des liens familiaux.

Si l'habilitation familiale présente des atouts en termes de souplesse et de préservation de l'intimité familiale, elle comporte aussi des zones d'ombre et des écueils à considérer avant de franchir le pas. Car une fois l'habilitation prononcée par le juge, il n'est pas toujours aisé de revenir en arrière ou d'en modifier les contours. Le pouvoir confié au proche habilité est vaste, avec un contrôle judiciaire a minima. La confiance doit donc être absolue, la probité de l'aidant incontestable.

Mieux vaut donc bien mesurer les risques inhérents à ce dispositif de protection récent et encore peu éprouvé, que beaucoup de professionnels jugent moins protecteur que les autres mesures. Sans céder à une vision alarmiste, un examen lucide des "points noirs" potentiels de l'habilitation semble indispensable avant de s'y engager en conscience.

1. Une procédure plus souple mais moins protectrice que les autres mesures

Un contrôle judiciaire initial et continu allégé

Là où une tutelle ou une curatelle impose un examen médical approfondi (le fameux certificat circonstancié du médecin agrée), l'ouverture d'une habilitation familiale ne nécessite qu'un simple certificat médical, sans formalisme particulier quant à son contenu. Cette simplicité procédurale se retrouve ensuite tout au long du fonctionnement de la mesure puisque le juge des contentieux de la protection (ex juge des tutelles) n'exerce plus qu'un contrôle lointain et très épisodique.

Il ne statue plus qu'en cas de difficulté (opposition d'un tiers à l'habilitation, désaccord entre la personne à protéger et celle habilitée, conflits entre proches...). Hors ces situations contentieuses, la famille gère seule la mise en œuvre de la mesure sans avoir à rendre de comptes au juge. Ce qui signifie aucun contrôle systématique et obligatoire de la bonne utilisation des fonds du proche protégé contrairement aux mécanismes de la tutelle et curatelle renforcée.

Une personne vulnérable moins bien protégée ?

Certains praticiens, comme Olivier Chomono, fondateur du groupe Capgeris, voient dans cette moindre supervision judiciaire un risque d'affaiblissement de la protection du majeur vulnérable. Selon lui, l'habilitation familiale offre certes un espace de liberté plus grand à la personne protégée et son entourage, mais au prix d'une vigilance moindre sur les abus et dérives potentiels.

Le pari repose sur l'appréciation bienveillante du juge qui, lors de l'ouverture de la mesure, doit s'assurer de la loyauté et de la protection des intérêts du majeur. Mais nul ne peut prédire l'évolution des relations intrafamiliales une fois l'habilitation prononcée. Le manque d'un regard extérieur, via l'obligation d'inventaire et de comptes rendus annuels par exemple, peut favoriser l'installation sournoise de maltraitances patrimoniales durables. Une crainte renforcée par les contours encore flous du dispositif.

2. Des contours et une mise en œuvre parfois flous

Un dispositif encore méconnu des familles et des professionnels

Entrée en vigueur en janvier 2016, l'habilitation familiale demeure encore compliquée pour beaucoup de familles et de professionnels concernés. Selon un rapport de la Cour des comptes de septembre 2016, le dispositif est peu connu et n'a donné lieu qu'à peu de jurisprudence à ce stade. Les données statistiques consolidées manquent pour évaluer précisément son déploiement.

Cette méconnaissance s'explique sans doute par le caractère hybride de l'habilitation, à mi-chemin entre les mesures judiciaires classiques et les protections conventionnelles type mandat de protection future. Par sa dimension familiale et son formalisme allégé, elle décontenance certains juges et greffiers habitués au cadre strict des tutelles et curatelles.

Du côté des familles, la nouveauté de l'habilitation suscite de la méfiance voire de la défiance. On craint les non-dits et l'opacité d'un dispositif qui maintient la protection dans le secret des familles, loin du regard des autorités. La relative imprécision des textes sur le périmètre exact des pouvoirs du proche habilité peut renforcer ces inquiétudes.

Un manque de précision sur les actes permis ou interdits

Certes, l'ordonnance du juge énumère les actes patrimoniaux et/ou personnels pour lesquels la personne est habilitée. Mais cette liste ne peut être exhaustive. Quid alors des actes de disposition du logement ou de souscription d'un prêt par exemple, non expressément mentionnés ? La personne habilitée doit-elle ou non solliciter une autorisation judiciaire spécifique ?

La loi n'apporte pas de réponse précise, renvoyant au juge le soin de lister "les actes que la personne en charge de la mesure de protection a le pouvoir d'accomplir au bénéfice de la personne protégée". De nombreuses zones grises demeurent au cœur d'un dispositif censé faciliter le quotidien des personnes vulnérables et de leurs aidants.

3. Des risques de dérives et d'abus de faiblesse

Captation d'héritage, abus de confiance... : des tentations facilitées ?

Ces zones d'ombre font le lit de possibles malversations et de dérives contraires à l'esprit de la mesure. Olivier Chomono s'inquiète ainsi que le risque de captation d'héritage soit encore plus grand avec une habilitation familiale qu'avec une tutelle. Car au-delà de la gestion des biens, la personne habilitée peut aussi intervenir pour les "actes ayant pour effet de porter gravement atteinte à l'intégrité corporelle de la personne protégée ou à l'intimité de sa vie privée" (article 459 du Code civil), notamment en matière médicale.

Un pouvoir important dont il convient de ne pas sous-estimer les ressorts psychologiques. Hélène Gacon, psychogériatre et cadre de santé, met ainsi en garde, contre la tentation pour la personne qui gère de considérer ce patrimoine comme le sien, de se l'approprier. Et l'entourage n'est pas toujours en capacité de déceler les premiers signaux d'alerte. Toujours selon elle, les proches minimisent souvent les symptômes, ils sont dans le déni ou la culpabilisation, surtout les enfants.

💡 Sur le sujet, consultez notre guide lié à la gestion des comptes en banques ou aux questions de succession sous habilitation familiale.

D'où l'importance d'une grande prudence dans le choix de la personne à habiliter. Mais comment anticiper les faiblesses et les convoitises sur le temps long d'une mesure qui peut durer plusieurs années ? L'habilitation familiale repose ici sur un pari audacieux, celui d'une confiance absolue, quasi aveugle, en la probité de l'aidant.

Une question de confiance

L'habilitation familiale ne peut fonctionner que s'il existe des liens très étroits et une confiance totale entre la personne vulnérable et son protecteur. En cas de défaillance de l'aidant (isolement, distance géographique, conflits avec le reste de la famille...), le majeur protégé est lourdement exposé. La personne habilitée doit absolument avoir des qualités d'écoute, de pédagogie et de disponibilité sans faille.

Des qualités que la seule bonne volonté ne suffit pas toujours à garantir. Dans la réalité, l'aidant familial a souvent ses propres contraintes professionnelles et personnelles qui peuvent entraver ses capacités à protéger. Il peut vite être débordé par les décisions à prendre, parfois mal acceptées par le proche âgé qui n'a plus toute sa lucidité. De plus, la dynamique d'aide intrafamiliale suppose une bonne entente globale alors qu'en pratique, les conflits et non-dits peuvent exister dans les familles touchées par la dépendance d'un aîné. Autant de limites qui invitent à la prudence pour certaines situations.

4. Un dispositif mal adapté à certaines situations

Une mesure déconseillée en cas de conflits familiaux

Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation, alerte sur le fait qu'il faut vraiment se garder de mettre en place une habilitation quand il existe des dissensions au sein de la famille. Elle souligne le risque de voir l'aidant instrumentaliser la mesure au profit d'un clan contre un autre. Des conflits d'intérêts ou des règlements de comptes peuvent alors se cristalliser autour de questions aussi sensibles que le choix du lieu de vie ou la vente du patrimoine immobilier.

💡 Sur ce sujet, consultez notre guide sur la vente de la maison d'une personne sous habilitation familiale.

C'est un risque de dévoiement de l'esprit de la mesure censée reposer sur une gestion concertée et bienveillante, dans le seul intérêt de la personne à protéger. L'absence de suivi judiciaire systématique empêche de désamorcer rapidement ces tensions, au risque de laisser le proche vulnérable otage de luttes familiales délétères. Dans ces cas-là, un contrôle étroit du juge est parfois préférable.

Des limites en cas de pathologie lourde

L'altération des facultés doit être médicalement constatée mais le législateur n'a pas fixé de seuil précis de gravité pour recourir à l'habilitation familiale. De l'avis de nombreux spécialistes, celle-ci est pourtant inadaptée pour les pathologies neuro-dégénératives sévères ou très évolutives comme Alzheimer, Parkinson, certaines maladies neurologiques... L'habilitation convient bien aux premiers stades, pour des troubles modérés. Mais dès que la perte d'autonomie s'aggrave, il juge préférable de passer à une curatelle voire une tutelle.

💡 Sur le sujet de l'évaluation de la dépendance, consultez notre guide du GIR.

Au-delà du degré de dépendance, le type de pathologie peut aussi faire obstacle. Certains troubles du comportement comme l'agressivité ou certains délires de persécution peuvent rendre inopérant ou dangereux le cadre souple de l'habilitation. En cas de syndrome frontal ou de démence à corps de Lewy, l'absence de contrôle strict peut permettre des fugues, des achats compulsifs, des conduites à risque... Sans compter la charge mentale très lourde qui repose sur le proche habilité.

5. Une responsabilité et une charge mentale lourdes

Le proche habilité confronté à des décisions difficiles

Isolé face aux symptômes déroutants de la maladie de son proche, l'aidant familial habilité doit endosser seul (ou presque) le costume de protecteur. Une responsabilité parfois d'autant plus écrasante que les décisions à prendre engagent l'avenir à long terme du majeur vulnérable. Il existe un risque que les personnes habilitées soient désemparées face aux arbitrages patrimoniaux qu'elles doivent assumer : faut-il vendre la maison pour financer l'EHPAD ? Continuer à payer les impôts locaux pour un logement inoccupé ? A quel rythme et comment puiser dans les économies ?... Autant de questionnements complexes sur lesquels l'habilitation n'offre pas d'accompagnement spécifique.

Sur le plan médical, les choix peuvent aussi être cornéliens : faut-il poursuivre une chimiothérapie ? Accepter ou refuser telle opération ? Quel cadre de vie, quel projet de soins privilégier pour un proche atteint de troubles cognitifs ? Ces dilemmes éthiques peuvent faire vaciller les repères et les certitudes de l'aidant.

Un risque d'épuisement de l'aidant, sans réel soutien extérieur

L'accompagnement d'un aîné dépendant est une charge de tous les instants, physique et émotionnelle. Entre les démarches administratives, la coordination des soins, les aléas du quotidien, l'aidant est vite aspiré dans un tourbillon chronophage. Selon l'Association Française des Aidants, un proche consacre en moyenne 6 ans de sa vie à un parent âgé dépendant, souvent au détriment de sa vie professionnelle et personnelle.

Un engagement dont l'habilitation familiale ne semble pas prendre toute la mesure, n'offrant aucun répit ou soutien institutionnel aux aidants. Fabrice Gzil, responsable des réflexions éthiques à la Fondation Médéric Alzheimer, dénonce cette situation. Alors qu'un mandataire judiciaire peut s'appuyer sur son service de tutelle, bénéficier de formations et de supervisions, l'aidant familial est livré à lui-même. On fait peser sur lui une charge de travail considérable mais sans lui donner les moyens de l'assumer dans de bonnes conditions.

Peu à peu, le risque d'épuisement est réel, le proche protecteur peut craquer, s'isoler. Fabrice Gzil s'inquiète que la santé des aidants soit un impensé du système actuel de protection juridique. Un constat qui invite à nuancer le postulat d'une solidarité familiale infaillible sur lequel repose l'habilitation.

6. Un manque de transparence et de contrôle dans la gestion

Une grande latitude sur les comptes rendus de gestion

Autre critique récurrente : l'opacité qui entoure la gestion des ressources de la personne protégée par le proche habilité. Contrairement à la tutelle ou la curatelle, aucun compte de gestion annuel n'est exigé, laissant une grande marge de manœuvre à l'aidant.

Le décret n°2016-185 du 23 février 2016 est venu préciser que la personne habilitée doit établir un inventaire des biens et un budget prévisionnel en début de mesure. Mais ces documents sommaires ne sont transmis au juge qu'en cas de difficulté et leur contenu est laissé à la libre appréciation de l'aidant, sans réel contrôle.

De même, le proche habilité détermine seul le niveau d'information qu'il souhaite donner sur ses actes, notamment à la personne protégée si son état le permet. Il y a un vide juridique sur le contenu et la fréquence de cette information, donnant là encore un pouvoir discrétionnaire très fort à l'aidant. De quoi nourrir fantasmes et suspicions sur l'utilisation réelle des fonds, d'autant que la question de la "rémunération" du protecteur reste entière.

Quid de la rémunération de la personne habilitée ?

La loi est muette sur l'épineuse question de la gratification financière du proche aidant qui consacre temps et énergie à la protection de son aîné. A la différence du mandataire judiciaire défrayé par des prélèvements encadrés et transparents sur les revenus de la personne protégée, le statut de l'aidant familial reste flou. Beaucoup s'interrogent donc sur ce qu'ils peuvent ou non s'octroyer comme compensation : un défraiement pour les déplacements ? Une somme forfaitaire pour le travail accompli ? Les textes sont silencieux sur le sujet.

Un vide juridique qui peut devenir source de tensions intrafamiliales quand un membre de la famille semble "profiter" de son statut de protecteur. Comment s'assurer que les ponctions réalisées dans le patrimoine de la personne correspondent à des frais et dépenses réels engagés pour son seul bénéfice ? L'absence de règles ouvre la voie à de possibles dérives abusives. D'autant que d'autres zones d'ombre demeurent.

💡 Consultez notre guide sur le sujet de la gestion bancaire des personnes habilitées.

7. Des vides juridiques persistants

Flou sur la responsabilité civile et pénale de la personne habilitée

Quid par exemple de la responsabilité de la personne habilitée en cas de faute ou manquement dans l'exercice de sa mission ? Le régime en vigueur pour les tuteurs et curateurs (responsabilité civile pour faute, responsabilité pénale pour abus de faiblesse ou escroquerie) s'applique-t-il de la même façon ? Rien n'est moins sûr tant les textes sont imprécis sur la nature exacte du contrôle a posteriori du juge sur les actes effectués.

On ne sait pas quelles sanctions encourent réellement les personnes habilitées et donc le degré de responsabilité qu'elles portent en cas de manquement. Une épée de Damoclès floue qui peut en dissuader certains au moment de s'engager. D'autant que les perspectives de sortie ou d'évolution de l'habilitation demeurent tout aussi incertaines.

Des questions non tranchées sur la fin de l'habilitation

Combien de temps dure l'habilitation familiale ? Dans quelles conditions peut-elle être modifiée ou révoquée ? Là encore, les dispositions légales laissent une large place à l'appréciation au cas par cas du juge. Si la loi de 2019 est venue préciser que la mesure prend fin "par le décès de la personne protégée ou par décision du juge", de nombreuses questions restent non tranchées.

Quid par exemple d'une modification en cours de route de l'étendue des pouvoirs conférés au protecteur, si la situation de la personne évolue ? Comment réagir si le proche habilité se trouve brutalement dans l'incapacité d'exercer sa mission (maladie, décès, conflit majeur avec le reste de la famille...) ? Le juge peut certes être saisi mais les modalités concrètes de révision ou de mainlevée de l'habilitation manquent singulièrement de prévisibilité et de cadre procédural précis.

Conclusion : bien peser le pour et le contre

Au final, si l'habilitation familiale a indéniablement simplifié et assoupli la protection des majeurs vulnérables, elle suppose, pour fonctionner de façon optimale, de réunir des conditions strictes : une famille unie et soudée, une grande stabilité de la situation du proche âgé, un aidant disponible et compétent épaulé par des professionnels. Des prérequis qui invitent à la prudence dans le choix de cette mesure.

D'où l'importance, avant de s'engager, de faire le tour de la question avec des professionnels avertis : notaire, avocat, médecin traitant, association tutélaire, groupe de parole d'aidants... Pour bien mesurer sa capacité et sa légitimité à endosser le rôle, lourd de conséquences, de protecteur de son proche vulnérable. Un travail d'introspection exigeant mais salutaire pour construire un projet d'accompagnement pérenne et bienveillant, dans le respect des droits et aspirations de chacun.

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