La curatelle renforcée est une mesure de protection strictement encadrée par la loi, qui impacte lourdement la capacité juridique du majeur vulnérable et les responsabilités de son curateur. Quels actes patrimoniaux et personnels sont autorisés ou restreints ? Quelles obligations réciproques doivent être respectées ? Quels sont les garde-fous en cas d'abus ? Eclairage sur ce régime contraignant mais protecteur.
La curatelle renforcée : définition et spécificités
Une mesure de protection intermédiaire entre curatelle simple et tutelle
La curatelle renforcée est l'une des trois déclinaisons de la curatelle, avec la curatelle simple et la curatelle aménagée. Elle représente un degré de protection plus élevé que la simple assistance mais moins radical que la tutelle, qui instaure une véritable incapacité juridique.
Concrètement, le majeur sous curatelle renforcée conserve une relative autonomie décisionnelle concernant sa personne mais voit sa gestion patrimoniale totalement contrôlée par le curateur. Ce dernier perçoit seul les revenus et règle les dépenses courantes, le majeur n'ayant plus de chéquier ni de carte bancaire à disposition.
Les critères et la procédure pour l'instaurer
Pour qu'une curatelle renforcée soit prononcée, les facultés mentales et/ou corporelles de la personne doivent être durablement altérées, sans pour autant abolir tout discernement. Elle doit être dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts patrimoniaux en raison de l'altération de ses facultés, d'une imprévoyance ou d'une prodigalité.
Un certificat médical circonstancié est obligatoire pour attester de l'altération, tandis que des éléments factuels (surendettement, négligences, mise en danger...) viendront étayer la nécessité d'un contrôle renforcé de la gestion des biens. C'est au juge des contentieux de la protection de se prononcer après avoir auditionné le majeur, recueilli l'avis des proches et d'éventuels experts.
Les effets sur la capacité juridique du majeur
Une fois la curatelle renforcée prononcée, le majeur protégé perd une grande part de son autonomie financière et patrimoniale. Il ne peut plus percevoir seul ses revenus (salaires, allocations, pensions...), gérer ses comptes ou souscrire des contrats sans l'accord du curateur.
En revanche, il conserve sa capacité d'exercer seul certains droits strictement personnels (se marier, voter, reconnaître un enfant...) même s'il doit être assisté pour d'autres (divorcer, vendre un bien...).
Cette articulation subtile entre préservation des libertés fondamentales et nécessaire limitation de la capacité juridique est au cœur du dispositif de curatelle renforcée.
Les actes de gestion patrimoniale sous curatelle renforcée
Le principe : le curateur perçoit seul les revenus et règle les dépenses
Pilier de la curatelle renforcée, le curateur prend totalement en charge la gestion budgétaire et financière du majeur protégé. Concrètement, tous les revenus (salaires, retraites, prestations sociales, loyers perçus...) sont obligatoirement versés sur un compte bancaire ouvert au nom du majeur, mais dont le curateur est le seul à pouvoir disposer.
Le curateur a ensuite la lourde tâche de régler les dépenses courantes du majeur (loyer, factures, courses, argent de poche...) et d'affecter le solde éventuel à l'épargne ou aux loisirs, dans l'intérêt du majeur. Un budget prévisionnel est établi annuellement à cette fin.
Les exceptions possibles sur autorisation du juge des contentieux
Si le principe est l'incapacité du majeur à gérer son argent, le juge peut l'autoriser à accomplir lui-même certains actes, comme retirer de l'argent, régler certaines dépenses ou disposer de revenus fonciers... Une souplesse bienvenue pour responsabiliser la personne et alléger la charge du curateur.
Ces aménagements doivent rester exceptionnels et encadrés. Ils figurent expressément dans le jugement d'ouverture de la curatelle renforcée ou font l'objet d'une autorisation spéciale ultérieure du juge des contentieux.
L'obligation d'établir un compte de gestion annuel
Revers de cette large mainmise sur le patrimoine, le curateur renforcé doit rendre des comptes précis et réguliers de sa gestion. Chaque année, il établit un compte de gestion retraçant les ressources perçues et les dépenses effectuées pour le compte du majeur protégé.
Ce document est ensuite transmis au juge des contentieux pour vérification et approbation, avant d'être notifié au majeur. En cas d'irrégularités, de négligences graves ou de conflit d'intérêts, le curateur engage sa responsabilité civile et pénale.
La possibilité de contester certains actes
Le majeur sous curatelle renforcée peut contester les actes patrimoniaux réalisés à son détriment, en saisissant le juge des contentieux. Il peut ainsi faire annuler un contrat déséquilibré, une vente abusive ou une donation indirecte faite sans son accord par le curateur.
De même, les actes importants accomplis seul par le majeur (emprunt, vente d'un bien...) sont nuls de plein droit, sans que le curateur ou le cocontractant n'ait à agir. Une sécurité indispensable au vu de la vulnérabilité du majeur protégé.
Les actes personnels autorisés et ceux nécessitant une assistance
Le libre choix de la résidence et des relations personnelles
Sauf décision contraire du juge, le majeur sous curatelle renforcée conserve le droit de choisir librement son lieu de résidence et d'entretenir des relations personnelles avec les tiers (famille, amis, voisins...). Le curateur ne peut s'y opposer sans motif légitime.
En revanche, l'ouverture et le suivi du courrier peuvent être soumis au contrôle du curateur, notamment pour prévenir des abus (souscriptions forcées, sollicitations douteuses...). Un équilibre délicat entre préservation de l'intimité et protection contre les risques de manipulation.
Le droit de vote et de prendre des décisions familiales
Par principe, la curatelle renforcée n'entraîne pas de perte des droits civiques ni familiaux. Le majeur protégé peut donc continuer à voter (sauf mention contraire du jugement), reconnaître un enfant, rédiger un testament ou faire une donation.
En pratique, son curateur sera vigilant sur la cohérence et la portée de ces actes non patrimoniaux, en prodiguant conseils et mises en garde. En cas de risque majeur pour les intérêts du majeur, il peut saisir le juge pour empêcher in extremis un acte problématique.
L'obligation d'être assisté pour se marier, se pacser, divorcer
Si le majeur reste libre de se marier ou conclure un PACS sans autorisation préalable du curateur, ce dernier doit obligatoirement l'assister pour signer le contrat de mariage ou la convention de PACS.
En cas de divorce ou de séparation, le curateur représentera le majeur dans la procédure et signera la convention en son nom. Un moyen de s'assurer que le patrimoine et les intérêts extrapatrimoniaux du majeur sont préservés au mieux dans ces situations potentiellement conflictuelles.
L'assistance requise pour les décisions médicales et le logement
Concernant sa santé, le majeur sous curatelle renforcée prend seul les décisions relatives à sa personne, notamment pour consentir aux soins. Toutefois, le curateur peut, s'il constate une incohérence manifeste dans les choix, saisir le juge pour qu'un médecin délivre une information adaptée au majeur.
Pour les actes médicaux spécifiquement mentionnés dans le jugement (comme une intervention lourde ou un traitement risqué), le majeur devra être assisté de son curateur pour consentir.
De même, s'il est apte à choisir lui-même son logement, le majeur sera représenté par le curateur pour signer le bail et verser les loyers, afin d'en garantir la pérennité. Un aménagement souple et protecteur de son autonomie.
Les droits fondamentaux du majeur sous curatelle renforcée
Le droit au respect de sa dignité, de son intégrité et de sa vie privée
Quelle que soit l'étendue de la mesure de curatelle renforcée, le majeur conserve un socle incompressible de droits inhérents à la dignité de la personne. Le respect de son intimité, de son image, de sa correspondance mais aussi de son intégrité physique et morale est garanti.
Tout abus, négligence ou maltraitance de la part du curateur concernant ces attributs essentiels de la personnalité peut être signalé au juge et donner lieu à un retrait immédiat des fonctions, voire à des poursuites pénales.
Le droit d'être informé et de participer aux décisions le concernant
Même très diminué, le majeur doit être systématiquement informé des actes réalisés pour son compte et associé, autant que possible, au processus décisionnel le concernant. Lui expliquer ses droits, recueillir son avis (même sommaire), le faire participer aux démarches sont des obligations déontologiques pour le curateur.
L'adhésion et la confiance du majeur sont indispensables à la réussite de la mesure. En cas de désaccord, une discussion loyale avec le curateur et/ou un signalement au juge doivent être possibles pour renouer le dialogue.
Le droit de communiquer librement avec son curateur et le juge
De façon générale, le majeur protégé doit pouvoir communiquer librement et sans entrave avec son curateur et le juge, par écrit ou par oral. Ce lien direct et personnel est la garantie que la mesure reste bien ajustée à l'évolution de la situation médico-sociale.
Il permet aussi de faire remonter rapidement les éventuelles difficultés d'application, les conflits et surtout les abus potentiels. Un garde-fou précieux que curateur et juge doivent encourager, dans un esprit d'écoute bienveillante.
Le droit de consulter son dossier et de former un recours
À tout moment, le majeur protégé (ou son avocat) peut demander à consulter son dossier individuel de protection, pour mieux comprendre les motivations des décisions prises et vérifier les comptes.
En cas de désaccord avec un acte du curateur, il peut saisir le juge par simple courrier pour demander l'annulation, la modification ou le remplacement du curateur. Il peut aussi interjeter appel de la décision d'ouverture ou de renouvellement de la curatelle renforcée.
Enfin, comme tout justiciable, il a accès au Défenseur des droits ou au procureur de la République en cas de violation grave de ses droits fondamentaux. Des recours essentiels à connaître pour ne pas se sentir piégé par la mesure.
Les missions et responsabilités du curateur renforcé
L'obligation d'agir dans le seul intérêt du majeur protégé
Le curateur renforcé a pour mission première de protéger la personne et les biens du majeur dans son seul intérêt. Cela implique de mettre entre parenthèses ses affects, ses opinions et ses intérêts propres pour se concentrer sur les besoins et aspirations de la personne.
Concrètement, cela exclut toute négligence, tout abus de faiblesse ou conflit d'intérêts dans la gestion patrimoniale ou les décisions personnelles. En cas de doute, le curateur doit en référer au juge et au conseil de famille.
La gestion rigoureuse et prudente du patrimoine
Percevoir les revenus, régler les dépenses, placer l'excédent, gérer les biens, rendre des comptes... Autant de lourdes responsabilités qui exigent du curateur rigueur comptable, réactivité et sens de l'anticipation.
Il doit adopter une gestion prudente et diligente en "bon père de famille", dans le respect des intérêts patrimoniaux immédiats et à long terme du majeur. Tout acte de disposition (vente, donation...) requiert une autorisation préalable du juge des tutelles.
La prise en compte des volontés et préférences du majeur
Si le majeur conserve des facultés de compréhension et d'expression, aussi réduites soient-elles, le curateur se doit de rechercher systématiquement son adhésion aux décisions, en s'adaptant à son degré de discernement.
Cela implique de l'informer, de recueillir ses souhaits, de respecter ses volontés chaque fois que c'est possible et de l'associer un maximum aux démarches le concernant. Un accompagnement humain et sur-mesure, qui vise à préserver l'autonomie décisionnelle.
L'information et le dialogue constants avec la personne
Corollaire du point précédent, le curateur doit instaurer une relation de confiance et un dialogue permanent avec le majeur protégé. Le tenir informé de l'évolution de ses affaires, lui expliquer les choix patrimoniaux, l'impliquer dans le projet de vie est indispensable.
Des échanges en tête-à-tête permettront de faire le point régulièrement sur ses attentes, ses craintes et l'adéquation de la mesure à ses besoins. En nourrissant ce lien, le curateur désamorcera bien des conflits et incompréhensions.
Dans tous les cas, la mesure de curatelle doit toujours être envisagée pour protéger la personne, et dans son intérêt. N'oubliez pas que vous devez agir dans l'intérêt de votre proche en curatelle.